Samedi, une vidéo montrant un manifestant violemment frappé à la tête a provoqué l'ouverture d'une enquête IGPN à Besançon. Comment fonctionne un signalement ou une saisie de l'IGPN ? Ces enquêtes provoquent-elles souvent des sanctions ? Détails.
À Besançon, une enquête IGPN vient d'être ouverte après la vidéo d'un gilet jaune violemment frappé à la tête par un policier, lors de la manifestation de samedi 30 mars. Publiée par le média Radio Bip, la vidéo a largement choqué et a été partagée des centaines de fois sur les réseaux sociaux.
La préfecture du Doubs a précisé dans un communiqué que l'individu était "suspecté d'avoir jeté des projectiles contre les forces de l'ordre". "Totalement faux. Je n’ai jamais fait entrave ni tenté de lancer quoi que ce soit sur les policiers", répond l'intéressé à nos confrères de L'Est Républicain. Sa mère, interrogée par Radio Bip ce lundi 1er avril, a annoncé que son fils allait porter plainte pour violences, mais avoue se sentir démunie face à cette situation et avoir besoin d'aide.
"Afin d’apporter un éclairage complet sur les circonstances dans lesquels le bâton de défense souple a été employé, le préfet du Doubs a saisi l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) pour une enquête administrative" explique un communiqué de la préfecture du Doubs en date du 31 mars. L'usage de la force a-t-il été utilisé de manière disproportionnée dans ce cas précis ? L'enquête IGPN doit répondre à cette question.
174 enquêtes liées aux gilets jaunes au niveau national
Selon la Direction générale de la police nationale (DGPN), 174 enquêtes judiciaires ayant un rapport avec le mouvement des gilets jaunes ont été confiées à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) depuis le 17 novembre. L'IGPN est le service à compétence nationale chargé du contrôle des directions et des services de la direction générale de la police nationale et de la préfecture de police.
Elle peut être saisie par le préfet du Doubs, comme dans le cas de Besançon, mais également par toute personne victime ou témoin "d'un comportement susceptible de mettre en cause des agents affectés dans un service de la police nationale". Un formulaire en ligne permet d'effectuer un signalement. Ce site internet existe depuis septembre 2013. Avant cela, seule l'IGS (Inspection générale des services), compétente à Paris et en proche banlieue, pouvait être saisie par les citoyens.
Deux types d'enquêtes peuvent être menées à bien par l'IGPN, organe composé de commissaires et d'officiers de police judiciaire baptisés "les boeufs-carottes" par leurs collègues policiers.
► Enquêtes judiciaires d’initiative ou sur instruction à la demande de l’autorité judiciaire (procureur de la République ou juge d’instruction)
► Enquêtes administratives sur instruction du ministre de l’intérieur, du directeur général de la Police nationale, du préfet de police ou du directeur général de la sécurité intérieure, ou d’initiative si les faits donnent lieu également à une enquête judiciaire. C'est le cas de celle de Besançon.
"Les enquêtes sur des violences volontaires constituent plus de la moitié du portefeuille de l’IGPN (574)" détaille un rapport annuel d'activité de l'IGPN pour l'année 2017, remis en août 2018. L’usage disproportionné de la force ne compte que pour 1 % de ces manquements retenus, pourtant majoritaires dans les signalements. En 2017, le délai moyen d'une enquête IGPN était de 163 jours.
Quelles sanctions ?
Selon un article de Médiapart.fr publié en février 2019, il existe "peu d’espoir de voir reconnues les violences dénoncées par les gilets jaunes". En effet en 2017, l’usage disproportionné de la force "a été reconnue pour 18 agents. Ainsi, l’administration a distribué un avertissement, 5 blâmes, et convoqué 11 conseils de discipline. Le dix-huitième a bénéficié d’une mesure alternative à la sanction disciplinaire".
Pour le cas bisontin, l’IGPN va devoir juger si l’usage de la force est proportionné. Pour ce faire, le code de déontologie de la police nationale va être scruté. "Sauf que ce texte est assez vague : l’article R. 434-18 pose simplement que la force doit être utilisée "seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace" expliquent nos confrères du Parisien.fr.
Concernant les enquêtes IGPN en lien avec les gilets jaunes, au niveau national, 22 enquêtes étaient terminées au 15 mars 2019. Comme le rapporte Libération.fr, elles ont été transmises au parquet de Paris. "Celles-ci, assure la même source sans plus de précisions, « sont en cours d’analyse au parquet », avant d’éventuelles suites" conclut l'article.
Le 6 mars 2019, les Nations unies s'inquiétaient d'un "usage excessif de la force" contre les "gilets jaunes" lors des manifestations. La Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Michelle Bachelet, a d'ailleurs réclamé, "une enquête approfondie" après les nombreuses accusations de violences policières portées par les manifestants (plus d'infos).
Un Jurassien à l'origine d'un signalement auprès de l'IGPN
Alain Hoffman, ancien militaire jurassien blessé dans un rassemblement gilets jaunes à Paris, a entamé plusieurs procédures après avoir été touché au niveau du cou, par un tir de LBD de la gendarmerie. Il a porté plainte et a saisi l'IGPN après une manifestation le 1er décembre 2018. "J'étais monté pour faire des photos pour les gilets jaunes de Champagnole. J'ai passé un scanner. Le chirurgien m'a dit qu'à 2 millimètres, ma carotide était atteinte et que je me serais vidé de mon sang" nous avait confié l'homme, très choqué mais déterminé à parler pour dénoncer les violences policières excessives.
Nous avons pris des nouvelles d'Alain, lundi 1er avril. Le Jurassien a été vu par une médecin légiste mandatée par l'IGPN à Lons-le-Saunier, le 13 février 2019, après avoir fait son signalement en ligne début janvier. "Cette femme semblait avoir déjà utilisé le flashball. Elle connaissait cette arme. J'ai aussi eu un commandant de police au téléphone. Un témoin de la scène, un jeune de 19 ans qui m'a aidé à Paris, a également été interrogé. Ils voulaient vérifier si j'étais quelqu'un de violent, quel était mon comportement". Cinq mois après sa violente blessure au cou, Alain se reconstruit doucement. Il est suivi pour symbtôme post-traumatiques. "Les blessés, on ne sera plus jamais les mêmes" confie-t-il.
Qu'en est-il de l'enquête de l'IGPN ? Au moment où nous l'avons contacté, le Jurassien n'avait pas reçu de nouvelles. Ce dernier a reçu un coup de téléphone de l'IGPN le lendemain pour des informations complémentaires.
Alain Hoffman ne croit pas à une issue positive pour lui. "Je n'y crois pas du tout. Pour être un ancien militaire, je pense que ça finira par ma voix contre la sienne et je n'ai aucun pouvoir la-dessus."